Jacques Monory à Landerneau.
Isabelle Maeght, dont la famille a toujours soutenu l’artiste a inspiré l’exposition rétrospective.
Concrétisée par Pascale Le Thorel, critique d’art et auteur d’une monographie sur le « peintre-cinéma ».
Ouvert avec Gérard Fromanger, le Fonds Hélène et Édouard Leclerc invite donc jusqu’au 17 mai 2015 un illustre membre du mouvement des Figurations narratives : Jacques Monory.
Nombreux sont ceux qui comme
Michel-Édouard Leclerc ressentent « l’impression d’avoir toujours vécu
avec l’œuvre de Jacques Monory. Depuis la fréquentation des galeries
dans les années 70 jusqu’à la lecture des polars dont certaines de ses
peintures faisaient les couvertures, ses “images” s’imposaient à notre
génération ».
Et de préciser : « il ne s’agit pas simplement d’une
esthétique, de la réminiscence d’une couleur ou d’un procédé ». Il parle
de ses thèmes, de ses obsessions (le cinéma, l’Amérique, les bagnoles,
la femme…) et des mythes de la société moderne dont il s’est inspiré.
Michel-Édouard Leclerc était allé voir la grande expo de la Figuration
narrative au Grand Palais en 2008, puis l’expo inaugurale du Mac/Val
confiée à Monory.
Depuis, il se l’était juré : « c’est à Landerneau, foi
de Breton, qu’on lui offrira sa plus belle exposition ».
Jacques Monory, enthousiasmé par les
possibilités qu’offrent les volumes des Capucins a gambergé sur
l’accrochage depuis son atelier.
Durant six mois, avec ses proches, il a
recensé les tableaux, les carnets et les collectionneurs.
De son côté,
Éric Morin, l’architecte-scénographe rennais, travaille à la mise en
espace.
Son idée force : créer des effets de miroir en plaçant des
surfaces réfléchissantes sur les tranches des cimaises.
L’installation à caractère rétrospectif
permet de découvrir des tableaux, dont de très grands formats, prêtés
par de prestigieuses collections privées et publiques (Centre Pompidou,
Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Fonds National d’Art
contemporain, Mac/Val, Musées de Marseille), ou fondations (Fondation
Maeght, Fondation Salomon, Fondation Gandur pour l’Art).
Elle présente
aussi l’ensemble des films de Monory, des photographies, des collages et
des objets, souvent inédits…
On trouve là son esthétique unique dans le
domaine des arts plastiques, proche de grands morceaux littéraires et
cinématographiques du XXe siècle (filiation Borges, Pessoa, Modiano,
Beinex).
Sa quête du temps, son atmosphère poétique particulière, son
écriture, tendues par un
« pessimisme-scepticisme-nihilisme-individualisme-anarchisme-désespoir »
en font pour Pascale Le Thorel « l’un de ces artistes rares, dont l’ADN
s’inscrit dans son époque et hors temps ».
L’exposition Jacques Monory
Landerneau révèle l’œuvre de celui qui nomme ses histoires des
« scénarios thrillerés » et que son ami, le philosophe Jean-François
Lyotard, a qualifié du titre baudelairien de « peintre de la vie
moderne ».
Créateur d’atmosphères, metteur en scène de fragments, Monory
utilise la photographie pour rendre ensuite en peinture « le climat,
l’impression, la sensation, le fait divers symbolique ».
Si le bleu Monory identifie
immédiatement ses peintures, on voit dans ses tableaux du début des
années 1960 une tendance à la monochromie allant des roses vers les
bleus.
Le répertoire graphique se constitue avec la silhouette du
peintre, les femmes, les animaux, les voitures, le revolver, la mort qui
rôde… travaillés toujours en série.
L’exposition Monory Landerneau s’ouvre
avec des tableaux des premières années, oeuvres matrices rassemblées
pour la première fois, aux titres évocateurs – Astérion l’unique, Comme il vous plaira, Elle, 6 heures du matin, Un autre, Out of the blue… Suivent les séries devenues mythiques : les Meurtres et Ex-. (Voir notre diaporama au pied du présent article).
Le tableau For all that we see or seem, is a dream within a dream (Car tout ce que nous voyons ou sentons est un rêve à l’intérieur d’un rêve, 1967) ouvre l’ensemble des Meurtres.
Son titre est tiré d’une nouvelle d’Edgar Poe. Choisi comme emblème de
l’exposition, il formalise une rupture amoureuse, une fêlure dans la vie
de l’artiste. L’homme et la femme sont isolés et séparés formellement
par une ligne blanche, une fissure qui traverse la peinture. Pour
« exécuter » les vingt-huit tableaux de la série Meurtre,
Jacques Monory tira à balles réelles sur des miroirs ! L’effet « nature
morte », ou scène de crime est saisissant. « J’ai peint les Meurtres
pour indiquer ce que je vivais, une agression à mon égard ; je l’ai
petit à petit élargie jusqu’à l’idée que cette agression était
généralisée. Je n’étais plus particulièrement une victime, j’étais une
victime comme les autres. Seulement, à un certain moment, je l’ai
ressenti vis-à-vis de moi-même brutalement » dira Jacques Monory en
1972.
La part autobiographique et la temporalité, rendues par
différentes séquences « sur les principes des collages surréalistes »,
sont affirmées. Les éléments de rêve, de transposition, de catharsis
sont mis en scène, colorisés.
Le rapport à la photographie et au cinéma
est établi par l’emploi des couleurs (le bleu de la nuit), les formats
(l’horizontalité, l’écran, le principe des planches contact), l’arrêt
sur image, les titres – fictionnels ou narratifs.
Cette esthétique très « roman-photo »
restera sa signature, identifiable encore dans ses œuvres des années
2000.
Si son inspiration aborde aussi ses proches (Antoine n°11) et ses
découvertes (Arcachon, Pompéi…), sa rencontre avec les États-Unis
engendre une fascination récurrente. On le voit avec ses photographies
désormais vintage, confirmant son goût des lieux « border-line », comme
cet étrange musée d’ethnographie de l’Utah mêlant cranes d’hommes et
d’animaux. Que dire de ce sobre salon de barbier, une fois que le cartel
révèle qu’il s’agit de celui de la prison de Rikers Island ? D’est en
ouest, Jacques Monory parcourt l’Amérique, cet « enfant monstrueux qui
nous fascine ».
Elle lui inspirera un hommage à Edward Hopper – un de
ses peintres de prédilection – et une œuvre extraordinaire, le grand
triptyque Death Valley n°1, où il intègre la gravure du Chevalier et la mort de Dürer.
Dans un autre ensemble, il représente « l’imbécilité de la richesse et du pouvoir » du monde hollywoodien.
Retour au cinéma, mais en France, Jacques Monory réalise en 1985, La Voleuse, où il rend hommage à son film culte : Gun Crazy, de Joseph H. Lewis.
Quatre ans plus tôt, Beineix a réalisé Diva, directement inspiré de la série des Opéras glacés,
peinte entre 1974 et 1975. Totalement fasciné, Beineix disait « ce sera
bleu, ce sera un monochrome ».
Ses techniciens s’inquiétaient : « trop
bleu, cela va être trop ». Curieusement, les deux hommes ne se
rencontreront que trente ans plus tard.